Cycle de L'Etoile XXVI
( Livre 26 )
LE TREFLE
XI - Faux-Semblants
" Tout tiendrait en un mot ,
Si les yeux savaient voir ,
L'envers de toute chose ,
Tout se tient dans le Feu
Que l'Esprit mystérieux
Garde au cœur de la Pierre "
" Pourquoi Pas ? " *
21 - Les regrets sont toujours tardifs ,
certes , pensa-t-il . Mais fouiller dans le passé ne sert très souvent qu'à faire s'agiter des ombres ...
Sa curiosité , cependant , le
poussa . N'avait-elle rien oublié de son ancienne attirance envers lui ?
Se levant lourdement de son siège d'équipage , il eut cette sensation terrible de vouloir mourir . Un teint livide fardait son visage , un grand poids d'angoisse lui nouait maintenant l'estomac . Qu'y avait-il donc au fond de lui pour qu'il se sente aussi mal ? Sans doute était-il temps , jugea-t-il , d'oser lui parler , d'aller , sans défaillir , dévoiler quelque chose de son âme souffrante à la passagère afin de satisfaire également sa légitime curiosité .
Il essayait de l'approcher , de la chercher avec lenteur dans l'obscurité . Mais quel problème , se dit-il , avec tous ces gens qui , tout autour , ne comprendront jamais rien de ce "Mystère de la Beauté " dont parle Saint Augustin , que , parfois , lui-même éprouvait avec une telle intensité que chez lui surgissait en même temps le besoin de n'être plus rien , sinon de se dissoudre dans le
Néant ! ( 25 )
Et puis , ce fut elle , à moitié assoupie , une belle chevelure blonde ruisselant sur ses épaules . Mais ce n'était pas la sienne : il y avait une autre fille plus jeune à ses côtés , comme une copie conforme d'une ravissante apparence , mais ressemblant davantage à un homme , à un ange aux traits juvéniles d'adolescent .
Quelle ne fut pas sa surprise : il crut reconnaître en elle une seconde Lucile !
Bon sang , ce n'était pas possible ! A peine l'avait-il aperçue , d'ailleurs , qu'il souhaita disparaître aussitôt sans laisser de trace . En même temps , son erreur lui sembla évidente : Il y avait tant d'années qu'elle avait dû le fuir comme on s'échappe de l'enfer d'une prison !
N'avait-il pas , comme d'habitude , puisqu'elle était partie , pris ses désirs pour des
réalités ? Celle qu'il avait connue autrefois , qui le poursuivait jusqu'au plus profond de sa trouble personnalité , était-ce vraiment la même ? Ressemblait-elle encore à son obsession maladive ?
Il sentit vaciller ses deux jambes .
22 - Que c'est étrange de vous revoir ici ! , se décida-t-il à lui dire de son côté , au bout d'un instant de gène ... Mais , sortant péniblement de sa torpeur , la jolie fille avait sans doute le dessein caché , en bredouillant un discours de circonstance , de feindre l'émotion .
Sa petite voix claire et charmante ralluma en lui , au-delà du chagrin , le souvenir enflammé de cette soirée mondaine où , jadis , ils s'étaient rencontrés pour le nouvel an , faisant défiler dans sa mémoire , à toute vitesse , un cortège d'images merveilleuses près d'elle , sur la piste de leur " Magic dancing " , ou accoudés au bar à siroter ensemble sangrias et whiskies en racontant leur vie !
- Dansez-vous toujours ? , lui demanda-t-il pour essayer de rompre la glace d'un
ton qui , sans espérer de réponse immédiate , se voulait , toutefois , plus convaincant . Vous ne vous rappelez donc plus la féérie de notre nuit texane ? , feignit-il de s'enquérir avec une légère effronterie .
- Oh ! , lui répondit-elle enfin , très hésitante , observant , par le hublot , quelques lueurs fugitives clignotant dans le paysage , insensible aux appels de la furie océane , à ses gouffres , ses hurlements secrets , comme aux sirènes changeantes qui , depuis
cette époque , avaient parsemé d'écueils la voie obscure de son propre destin .
- C'était il y a si longtemps ! , marmonna-t-elle après un instant d'indécision , se demandant ce qu'il pouvait bien faire là , s'il était au courant de toute cette histoire .
La surprise , pourtant , tel un incendie dans un ciel d'azur , fit encore , une seconde plus tard , pétiller le bleu-vert de son regard :
le sien , lorsqu'il s'y fixa , ne résista pas davantage à sa force éclatante , magnétique ! Elle avait fini par comprendre que , peut-être , il voulait négocier quelque chose !
- C 'est si loin , cependant , se reprit-il avec un certain embarras , nous étions des ados dans ce temps-là .
Sans réfléchir , il avait hypocritement posé sa joue contre la main de son ancienne amie , puis en avait alors profité , d'une voix remplie de fièvre , d'émotion , pour la tutoyer , gazouillant la douce mélodie d'un chant d'oiseau à son oreille musicienne :
- Tu sais , je n'ai rien oublié de nos chaudes étreintes ... de cette soirée magnifique à la belle étoile , de notre longue promenade à travers le village assoupi sous la neige de janvier , dans cette station de ski où , en
rentrant , nous avions pris quelques jours de vacances ! J'avais même failli tomber , rappelle-toi !
Incertain , voire inquiet du résultat de sa hardiesse , elle avait écouté son ridicule babillage , le toisant encore plus , tandis que
lui continuait à faire défiler dans sa tête les images d'un vieux mélo romantique :
- Puis notre vie à Paris , tous les deux , nos folles virées dans Montparnasse !
- Et vous ? Votre travail ? , se contenta-t-elle de le couper brutalement . Toujours entre ciel et terre ? Comme c'est bizarre ...
- Si tu savais , gémit-il d 'un air sournois , j'ai tellement voulu t'envoyer un mot , mais j'ignorais ton adresse ...
En peu de temps , la mignonne , ayant feint de perdre tout espoir , se mit à pleurer , baissant les yeux de son beau visage mouillé de mélancolie ... Elle paraissait ne rien comprendre à ce qu'elle prenait pour une méprise !
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DAN AR WERN - LE TREFLE ( Cycle de L'Etoile XXVI ) - XI - Faux-Semblants - Pep gwir miret strizh - Tous droits réservés - All rights reserved . " LE TREFLE " , copyright 2023 .
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Notes :
25 - " Quand l 'Amour grandit en toi , la Beauté fait de même . Car l 'Amour est la Beauté de l 'Âme ... "
" Les Confessions " ( 397 - 401 ) de Saint Augustin ( 354 - 430 ) , philosophe et théologien chrétien .
* " Pourquoi Pas ? " chanson de Graeme Allwright ( musique de Graeme Allwright / Maxime Le Forestier / Paroles de Maurice Cocagnac ) sur son album " Ombres " ( 1981 ) - copyright 1981 Graeme Allwright / Mercury Records - All rights reserved .