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17 avril 2023 1 17 /04 /avril /2023 17:05

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Eglise Russe de Nice , Saint-Nicolas et Sainte-Alexandra  ( 1859 ) - Note 34 .

 

MEMENTO

( Souvenirs d 'un Voyageur sur la Terre )

 

 

" Qu'importe le sillon que tu sèmes
  Sur les collines de la vie ... "

Glenmor - " Memento " *

 

 

 

 

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IV - Nice

       ( 7Un Immeuble Au Nom d 'Etoile )

 

 

 

 

Pour J.M.G Le Clézio


 

" On a vu un homme marcher ,
  Il tenait , dans sa main ,

  Une clé ... "
 

Nolwenn Korbell - " Ur Wech e Vo "

( Il y Aura une Fois ) *

 

 

 

 

 

       7 - J'habitais un immeuble au nom d'étoile ... Signe prémonitoire ? Nous avions dû laisser les parcs et jardins somptueux de l'antique " Cemenellum  " ( 27 ) pour émigrer vers l'ouest , du côté de l'Avenue de la Lanterne , artère célèbre chantée par Louis Nucéra28 ) , qui se plaisait lui-aussi à découvrir sur un vélo les collines de Nice , peut-être à la recherche , tel ces " envoyés de la Beauté sur la Terre  ", des couleurs subtiles de son inspiration d'écrivain .

            Plus tard , je m'en suis voulu  , comme " Le Grand Meaulnes  " ( 29 ) , d'avoir préféré parfois mes courses solitaires plutôt que le clair-obscur des salles de cours de la fac .Pourtant , c'était la jeune et séduisante Madame Labarrère ( 30 ) qui , de sa voix douce , un peu " hautaine  " ( 31 ) , et dans la lumière tamisée d'après-midi tardives , parlait à demi-mot d'une mystèrieuse enchanteresse , créature évanescente qu'elle

incarnait , sans le savoir , et qui me faisait rêver .

 

 

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           Néanmoins , lors de ces promenades ,  je n'avais guère conscience , en réalité , d'un quelconque attachement . La trame indéchiffrable du Destin m'avait conduit là , c'était tout .Je n'implorais pas , comme Nietzsche :

" Il me faut la lumière , l'air de Nice , il me faut la Baie des Anges ! " . 

Tout ça , je l'avais sans m'en rendre compte , m'en imprégnant sur place d'une manière instinctive , renouant ainsi avec l'enfance de mon père qui , tout petit , dans une ville sans voitures , s'était échappé discrètement de la maison familiale de Saint-Roch , et , par l'avenue des Diables-Bleus ( 28 ) , grimpait maintenant les pentes du Mont-Boron pour ensuite les dévaler sur une carriole avec ses copains " nissart  " .

           Sur ma bicyclette , je prenais avec peine la petite route montante menant à un passé révolu , ce " chemin qui s'enfonce  "

31 ) , dans l'arrière-pays , par les villages pittoresques de Saint-Roman-de-Bellet , d'Aspremont , vers la " citadelle  " de Levens , avec son esplanade grandiose , où souffle , les jours d'hiver , ce vent froid venu des montagnes toutes proches .

           Mon grand-père Marcel y avait été gendarme dans les années trente . Je ne l'ai su que par la suite . Mais je me demande encore quelle force inconsciente m'avait poussé souvent dans ce lieu inaccessible , sur les traces d'un parent bien trop tôt disparu .

           Il nous avait laissé juste avant ma naissance , et pour moi , son souvenir ne vivait plus qu'au hasard de vieilles photos de l'immédiat après-guerre . Parfois , pour les regarder , je me réfugiais dans une sorte d'alcôve , attenante à la chambre

parentale . Elles étaient cachées dans un carton , sous les draps amidonnés d'une penderie sans âge . En tâtonnant , je devinais auprès d'elles , dans son étui de cuir marron , la présence mystérieuse d'une arme sans

munitions , la sienne : c'était un vieux revolver , dont il m'arrivait de faire jouer le mécanisme .

Je humais toutes ces odeurs troublantes , les associant aux images d'une vie que je n'avais pas vécue , songeant avec nostalgie aux fastes et malheurs du passé , aux aventures de Raskolnikov ( 32 ) , que j'étais entrain de lire , mais aussi , je ne sais plus trop bien pourquoi , à la roulette russe .

           Sa veuve , ma grand-mère Alice , de son accent chantant du Centre , m'avait évoqué sa rencontre avec ce beau militaire des bords de Loire , me plongeant dans un autre univers , celui de leur insouciante jeunesse , morvandelle et nivernaise .

            " Tout ce que j'écrirai ne dira jamais ce que je sens  " . ( 33 )

C'est l'aveu d'impuissance de Marie Bashkirtseff , qu'elle exprime dans son journal

intime , publié peu après sa précoce disparition . Ce pourrait être aujourd'hui le mien .

" J'aime Nice , Nice , c'est ma patrie ! " , y note-t-elle encore en 1874 , tandis qu'elle séjournait en ce lieu un siècle auparavant . Je revois sa petite fontaine , gravée de caractères étranges , dans la rue qui porte son

nom . Cette jeune fille à peine connue me fascinait par la brièveté de son existence autant que par cette image imprécise d'étrangère ou de " Madone  " lointaine que je me faisais d'elle . Et , plein d'ignorance , mon esprit naïf n'hésitait pas à rapprocher " l' éphémère Moussia  " du Tsarévitch , dont je visitais parfois l'énigmatique sépulture , complètement nue et dépouillée , derrière l'église Saint-Nicolas . ( 34 )

           Mais que savais-je réellement d'elle , que savais-je de lui ? Pas grand chose , sinon que sa vie devait ressembler à la mienne , aussi désespérante , et que la présence russe avait été , ici , magnifiquement affirmée par la construction d'édifices

grandioses . D'ailleurs , n'avais-je pas moi-même ce privilège incroyable d' étudier dans l'ancien palais des tsars ? Je déplorais seulement qu'on ait dû , pour des raisons de sécurité , modifier considérablement la façade originale d'un ouvrage aussi 

exceptionnel . Tous ses balcons à cariatides sculptées , ses ornements , toutes ses moulures de style rococo avaient été détruits . De l'imposant " Hôtel Impérial " d' Adam

Dettloff  , que restait-il , maintenant, sinon quelque vestige d'un vaisseau fantôme , ou bien l'épave sinistre d'une espérance abandonnée ... ( 35 )

           Alors , qu'est-ce qu'un amour , qu'est-ce qu'un peuple , lorsqu'il est abandonné ?

En cette période troublée de l'adolescence , j'aurais eu besoin des lumières de Renan pour faire face à ces interrogations douloureuses que l' Homme affronte sans pouvoir jamais les résoudre .

" Une Nation est une âme , un principe spirituel " , affirme-t-il à l'occasion d'une brillante conférence à la Sorbonne . ( 36 )

             Si maintenant j'arrive à davantage apprécier les subtilités mélodiques développées par le génie d'un compositeur , ou la richesse infinie des nuances travaillées par le peintre sur sa palette , je ne me posais même pas la question de savoir alors si , tel Nietzsche ou Marie Bashkirtseff , et , sans doute , bien d'autres anonymes , je pouvais aimer Nice . D'ailleurs , pourquoi me trouvais-je là , en cet endroit si lointain , si différent des lieux de ma naissance ?

Pourquoi pas , plutôt , s'en aller à l'aventure vers le Cap Nord , puisqu'un jour , comme on bâtit des châteaux en Espagne , un copain savoyard s'était mis à nous faire miroiter , sans jamais l'assouvir , cette fabuleuse quête boréale ?

J'en voulais à la Terre entière de vivre en

exil , si loin de ma vraie patrie !

Mais " les origines frappent le subconscient comme on le dit d 'une médaille " . ( 28 )

La Bretagne vibrait en mon coeur , certes , je la portais fièrement de tout mon être . Pourquoi ? 

Pourquoi devais-je me convaincre d'une accidentelle destinée ? Quant à l'errante recherche d'un enracinement trompeur , n'était-ce pas aussi dans l'air du temps ?

            Chaque livre , glané " au hasard  " , me ramenait aux souvenirs d'une prime enfance dont je me sentais cruellement dépossédée . Des images revenaient sans cesse à ma mémoire , obsédantes . Ce vieux chalutier piqué de rouille , traversant avec lenteur les eaux grisâtres du Golfe du Morbihan , naviguerait toujours dans l'oeil émerveillé d'un garçonnet de trois ans qui cherchait sur l'onde un reflet complice , une réponse , peut-être la lueur chaude et maternelle émergeant d'un Royaume englouti ...

            L'océan ! Mor-Breizh !

Son odeur indéfinissable , sa chair saline et ses mystères perpétuels , lancinantes mélopées du chant breton , qui s'égrènent en vagues innombrables déferlant sur des chapelets d'îles et de récifs ...

            La splendeur du Cosmos était ,

dit-on , pour lui , un ravissement !

Je me délectais de ses " Souvenirs d'Enfance et de Jeunesse  " ( 36 ) , tâchant d'inventer mon prochain voyage au " Pays des Nuages Tristes  " , bien au-delà de la Voie Lactée , celui des Déesses barbares qui , de leurs yeux verts comme l'émeraude , percent le brouillard d'une mythique légende des

siècles .

" Je suis né ... au bord d'une mer sombre , hérissée de rochers , toujours battue par les orages . " ( 36 )
            
La mienne se trouvait plus au Nord , pâle comme la face de la Lune , et même si je ne parvenais à saisir sa parfaite Beauté , j'imaginais la chevelure argentée d'une ondine effleurant de sa main légère quelque harpe céleste dont le chant cristallin vient mourir sur les îles d'Avalon , pour , sans cesse , renaître . ( 37 )

" Mes Divines , la Foi est aventure , proclame Xavier Grall , vent claquant , souffle , envolée de colombes , voile gonflée .

" Partez , partez au nom de Dieu . " ( 38 )

Depuis , j'ai eu l'occasion , pendant les vacances , de retrouver parfois le pays de Gwenc'hlan et celui d'Arthur , très déçu , pourtant , qu'on n'y entende plus guère les envoûtements de Morwenn et la langue des ancêtres , ce beau chant d'amour entre Diarmaid et Grainné . ( 39 )

" Me droc'ho ma zeod em bek ,

  Ken diziski ar Brezonek ! "

" Je couperai ma langue dans ma bouche , plutôt que d'oublier le Breton ! " , lance Brizeux . ( 40 )

Ma patrie invisible , où se cachait-elle ?

 " E pe lec'h " ? Où ça ?

 " E pe lec'h ma red ho koantiz ? " Où court votre beauté ? , chante Glenmor . ( 41 )

            Petite hermine , vive et rusée , sors de ton gîte , sous les chênes , montre-nous le chemin de la renaissance ! ( 42 )

Conduis-nous vers les hautes terres !

            " Que peuvent savoir de la Bretagne ceux qui ne connaissent que le monde ? "

( 43 ) , pensais-je aussi , regardant vers le large .

Je me suis tenu sur le seuil . Et j'ai prié l' Archange de me montrer l'ombre et la lumière .

Je t'ai vue , au loin , dans l'infini des brumes océanes .

Qui pourra mieux parler à mon coeur du poids de nos lourds secrets ?

Tombelaine ! ( 44 )

Soudain , je retrouve , tel Novalis , " d'anciennes mélodies  " que le vent capricieux murmure au spectacle futile des apparences . ( 45 )

" Pourquoi mon île , si fragile ,

  es-tu perdue ?... ( 46 )

 

( A Suivre )

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                         ___

 

 

DAN AR WERN - MEMENTO ( Souvenirs d'un Voyageur sur la Terre ) - IV - Nice ( 7 - Un Immeuble au Nom D 'Etoile ) - Tous droits réservés . " MEMENTO " , copyright 2023 .

                          ___

                                    
Notes :

27 - " Cemenellum " , nom de l'ancienne ville romaine de Cimiez .

28 - Louis Nucéra ( 1928 2000 ) , écrivain niçois .

- " Chemin de la Lanterne " , roman , LGF , 1982 et Grasset/Fasquelle 1997 .

" Les origines frappent le subconscient comme on le dit d'une médaille  " .

- " Avenue des Diables-Bleus  " , Grasset , 1979 .

29 - " Le Grand Meaulnes  " , d'Alain-Fournier ( 1886 - 1914 ) , roman , Emile-Paul , 1913 . Fayard , 1986 .

Version bretonne : " Meaulnes Veur  " , bet lakaet e brezhoneg ( traduit par ) Yann-Ber Thomin , Ar Skol Vrezoneg / Emgleo Breiz , 2000 .

30 - Christiane Labarrère , professeur de littérature à la Faculté des Lettres de Nice en 1971 , écrivain .

31 - " Miracles  " , par Alain-Fournier , poèmes et proses , 1924 . Préface de Jacques Rivière . Arthème-Fayard , 1986 .

32 - Personnage principal de " Crime et Châtiment  " par Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevski ( 1821 - 1881 ) . Publié en 1866 .

33 - " Journal " de Marie Bashkirtseff ( 1858 - 1884 ) , peintre , écrivain russe  ( Ecrit de 1873 à 1884 ) .  Publié par le " Cercle des Amis de Marie Bashkirtseff " .

34 - Eglise Russe de Nice , Saint-Nicolas et Sainte-Alexandra . Construite en 1859 sous l'impulsion de l'impératrice douairière Alexandra Feodorovna , veuve du tsar Nicolas 1er . La plus ancienne église russe en Europe occidentale .

- Tombe du Tsarévitch Nicolas , fils d'Alexandre II , mort d'une méningite à l'âge de vingt ans lors d'un séjour à Nice en 1865 à la villa Bermond , sur le site actuel de

l'église .

35 - Adam Dettloff ( 1852 - 1914 ) , architecte polonais de l' Hôtel Impérial , inauguré le 18 janvier 1902 , transformé en Lycée du Parc Impérial en 1924 .

36 - Ernest Renan ( 1823 - 1892 ) , écrivain breton , philosophe , historien , philologue .

" Qu'est-ce qu'une nation ? " , conférence à la Sorbonne , 1882 .

" Souvenirs d'Enfance et de Jeunesse  " , autobiographie , 1883 , Calmann-Lévy .

37 - " The Poems of Ossian  " , par James MacPherson ( 1736 - 1796 ) , poète écossais . London Edition , 1796 .

Version française : " Ossian , Saga des Hautes-Terres  " , éditions Libres / Hallier , 1980 .

38 - " L' Inconnu me Dévore  " , par Xavier Grall ( 1930 - 1981 ) , journaliste , poète , écrivain breton .

Editions Calligramme , 1984 .

39 - Légendes celtiques .

40 - Auguste Julien Pélage Brizeux ( 1803 - 1858 ) , poète romantique breton .

41 - Glenmor - Milig Ar Skanv -

( 1931 - 1996 ) , chanteur breton . " Viviana " copyright 1973 Glenmor / Le Chant Du Monde - Pep gwir miret strizh - Tous droits réservés . 

42 - L'hermine , symbole de la Bretagne .

43 - " Lieux et Histoires Secrètes de Bretagne  " , par Patrice Boussel . La Porte

Verte , 1980 .

44 - Petite île au large du Mont Saint-Michel .

45 - Novalis - Friedrich Von Hardenberg -

( 1772 - 1801 ) , poète romantique allemand , philosophe .

- " Heinrich Von Ofterdingen " , roman inachevé , 1802 . Version Française : Editions bilingues Aubier / Montaigne , 1942 .

46 - Dan Ar Wern - " Tombelaine " ( 1972 ) , poème , in " Le Chemin Perdu  " , Copyright 2017 Dan Ar Wern / OmniScriptum GMBH and Co - All rights reserved .

                                     

 

 

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